André Gattolin intervenait ce jeudi 4 juin à la tribune du Sénat, pour expliquer en quoi le groupe écologiste ne voterait pas l’accord France-Etats-Unis sur la lutte contre la criminalité grave et le terrorisme (seul le prononcé fait foi).
« Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Madame la Rapporteure, Mes chers collègues,
C’est dans un contexte particulier que nous débattons ce matin de ce projet de loi.
En effet, l’étude de cette convention intervient alors que le Sénat examine actuellement, le projet de loi relatif au renseignement.
Or, ces deux textes soulèvent une seule et même question : celle de l’arbitrage entre la protection des libertés individuelles et la nécessaire lutte contre le terrorisme.
La recherche d’un équilibre entre ces deux versants n’est évidemment pas nouvelle.
Elle remonte à l’origine de la philosophie politique, et fut au cœur de la réflexion du penseur anglais Thomas Hobbes.
Ainsi, sécurité et liberté entretiennent une relation complexe.
La première constitue à la fois la condition de la jouissance de la seconde, et la source de sa restriction.
Aujourd’hui, nos sociétés suivent des trajectoires dictées par le terrorisme international, qu’elles tentent coûte que coûte de combattre. Cette trajectoire est celle du « tout sécuritaire ».
Au fil des années, nous avons donc entériné une surenchère législative, légitimant ainsi un accroissement des pouvoirs de police et une surveillance accrue, voire quasi généralisée, de la population.
Avons-nous pris seulement le temps de dresser le bilan de ce qui a fonctionné ou non ?
En effet, il ne faut pas que l’impératif de rapidité d’action phagocyte entièrement la raison et la réflexion.
Pour revenir à notre texte, cet accord vise donc à entériner la coopération judiciaire pénale entre les Etats-Unis et la France, en matière de criminalité grave et de terrorisme.
Les données échangées sont les empreintes génétiques et dactyloscopiques de nos concitoyens.
Ces derniers mois, au sein de cet hémicycle ou encore en Commission des affaires européennes, j’ai eu l’occasion de défendre longuement la nécessité de lutter efficacement contre le terrorisme, et d’y conférer les moyens adéquats.
Loin de moi donc l’idée de remettre en cause une telle lutte.
Cependant, j’estime que celle-ci ne saurait se faire au détriment des libertés des citoyens. Et cet impératif vaut également, et surtout, pour les accords conclus avec d’autres Etats.
Or, c’est bien au regard de la transmission et de la protection de données à caractère personnel que ce texte étudié est problématique.
A ce titre, il est fort regrettable que le Gouvernement n’ait pas associé la CNIL à la conclusion de cet accord, alors qu’il en avait la possibilité.
Un tel travail en commun aurait très certainement représenté une garantie de contrôle du respect des libertés.
L’article 10 de cet accord pose certes des garanties en matière de protection et de traitement des données à caractère personnel. Il prévoit ainsi la nécessité d’un contrôle par une autorité indépendante et le droit à un recours approprié.
Or, lorsqu’on examine de près la législation américaine, on réalise que, pour l’heure, elle est loin d’être conforme à ces exigences.
De plus, le cadre de protection fixé par ce texte n’est pas satisfaisant.
Tout d’abord, les Etats-Unis ne disposent pas d’autorité indépendante équivalente à la CNIL.
L’accord prévoit seulement la garantie, hélas bien maigre, que la désignation de cette autorité devra figurer dans des «arrangements administratifs» ultérieurs.
Laisser un point aussi essentiel à des arrangements ultérieurs fait planer une incertitude dérangeante quant à la nature, au fonctionnement et aux prérogatives de cette autorité dont on ne connaît pas encore les contours.
De plus, cela nous empêche, nous parlementaires, de nous exprimer en temps utile sur un élément qui intéresse pourtant au premier chef les garanties entourant la protection des données personnelles transmises.
Ensuite, le droit américain pêche au regard du droit au recours pour violation du droit à la protection des données à caractère personnel.
Là encore, il ne répond pas aux garanties affichées par l’article 10 précédemment cité.
Alors que ce droit doit être garanti sans égard à la nationalité ou au pays de résidence du requérant, la législation américaine réserve un tel droit de recours juridictionnel aux seuls citoyens américains et aux résidents des Etats-Unis.
Malgré des annonces en ce sens de la part du Président Barack Obama, aucun acte législatif du Congrès n’a pour le moment été pris.
Comment alors être sûr que cela le sera prochainement ?
Ceci d’autant plus que les négociations entre les Etats-Unis et la Commission européenne au sujet d’un « accord parapluie » relatif à la protection des données à caractère personnel échangées dans le cadre de la coopération policière et judiciaire, achoppent sur la question de l’octroi d’un recours juridictionnel aux citoyens européens.
Pourtant, rappelons-le, le droit à un recours juridictionnel effectif est garanti par nos textes les plus fondamentaux.
Ainsi, le Conseil constitutionnel le déduit de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Dans la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, il découle de la combinaison des articles 6 et 13 de la Convention.
Montesquieu n’hésitait pas non plus, dans ses écrits, à faire un lien entre procédure et liberté.
Ces deux insuffisances majeures en termes de garanties font écho à deux des points qui occupent nos débats sur le projet de loi relatif au renseignement, à savoir les prérogatives de la Commission nationale de contrôle de techniques de renseignement, et le droit de recours devant le Conseil d’Etat.
Dans ces conditions, approuver un tel accord serait contraire à toutes les valeurs que nous défendons.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe écologiste votera contre cet accord.
Je vous remercie. »