Dans la continuité de son marathon de colloque qui marque ce mois de célébration du 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, André Gattolin organisait ce 17 décembre, avec l’Assemblée Européenne des Citoyens et Ukraine Action, une conférence intitulée : « Interpeller l’Europe face au conflit armé dans l’Est de l’Ukraine – La parole aux acteurs de terrain ». Avec notamment François Croquette, Alexis Prokopiiev, Alexandre Tcherkassov, Alexqnder Hug, Ioula Shukan, Pierre Sautreuil…
Retrouvez ci-dessous le texte de son propos introductif :
« Bonjour et bienvenue à vous toutes et tous !
C’est un plaisir pour moi d’accueillir ici au Sénat cette initiative portée par l’Assemblée Européenne des Citoyens et Ukraine-Action, en présence des représentants de différentes organisations et associations défenseurs des droits humains et du renforcement de l’Etat de droit en Russie et en Ukraine.
Mon propos d’ouverture sera donc assez bref, pour très vite laisser la parole aux spécialistes et aux acteurs de terrains. Je m’attacherai précisément à tenter d’expliquer pourquoi mes concitoyens cultivent une image à mon sens aussi floue de l’Ukraine et, par conséquent, pourquoi ce type de conférence permettant d’approfondir notre connaissance de la situation actuelle en Ukraine est non seulement utile, mais représente une sorte d’œuvre de salubrité publique à la fois pour notre vie démocratique et également pour éclairer certains des enjeux auxquels notre continent est confronté à 6 mois des prochaines élections européennes.
Premier constat : Les Français se disent volontiers Européens, mais leur vision et leur connaissance de celle-ci est souvent assez sommaire dès lors que nous tournons notre regard vers les confins Est et sud-Est de notre continent.
En France, l’Ukraine reste terriblement méconnue. Sans doute, ce pays souffre-t-il de n’être ni une destination touristique pour nos concitoyens, ni une destination d’études universitaires pour nos étudiants…
Avec une population de 45 M d’habitants et une superficie équivalente à la France, l’Ukraine est pourtant un des pays les plus importants d’Europe. Longtemps écrasée sous le joug soviétique et avant cela sous le joug tsariste, le pays n’a, à nos yeux, commencé à avoir une existence autonome et une visibilité internationale que depuis l’effondrement de l’URSS.Dans les années 80, j’ai eu la chance d’être proche du mathématicien Leonid Pliouchtch, réfugié en France depuis 1977 après un long internement en asile psychiatrique. Doté d’un sens de l’humour et d’une courtoisie rares, je me souviens pourtant de la colère froide dont il me gratifia ce jour de 1986 où, dans une réunion, je l’avais présenté comme un dissident soviétique… Un peu sèchement, il me reprit alors en me disant : « Oui, je suis un dissident, mais je suis d’abord et avant tout un nationaliste ukrainien ! ».
Renvoi salutaire de mon humble personne vers mes livres d’histoire…
De ce côté-ci de l’Europe, de l’Ukraine nous entendons parfois parler, mais de manière très sporadique et souvent assez superficielle, au gré des soulèvements et des crises lorsque celles-ci sont suffisamment intenses pour que nos médias ou nos responsables politiques daignent lui accorder leur attention.
Samedi passé, il y a à peine deux jours, certains d’entre nous ici présents participions à La Sorbonne à une conférence intitulée « Le Kremlin en la vague réactionnaire en Europe ». À cette occasion, j’avais dans le courant de la semaine passée ordonné la réalisation par l’institut IFOP d’un sondage sur la perception de la Russie, sur sa politique d’influence et sur la situation des droits de l’Homme dans le pays. Les résultats de l’enquête sont assez édifiants sur dérive autoritaire qui règne dans ce pays voisin – et pour dire les mots justes – envahisseur d’une partie significative du territoire de l’Ukraine.
J’ai profité de cette enquête pour ajouter quelques questions concernant l’Ukraine et le conflit qui l’oppose à la Russie. Il aurait fallu pouvoir poser davantage de questions, que ce que mon modeste budget m’a permis de faire, pour mieux éclairer la perception des Français à l’endroit de la situation en Ukraine. Pour autant, ces résultats épars n’en sont pas moins intéressants, car, à ma connaissance, bien peu d’enquêtes d’opinion n’ont à ce jour été réalisées sur ce sujet dans notre pays.
Dans leur ensemble, les Français ont, en dépit de leur faible connaissance de l’Ukraine, une relativement bonne image de l’Ukraine en tant que pays : 60 % en ont une bonne opinion (contre 40 %) ; soit un niveau assez appréciable pour un pays troublé par la guerre. Ce niveau d’appréciation croit légèrement avec l’âge : les plus de 65 ans sont plus nombreux à le juger positivement. De tous les segments de la population, seuls les sympathisants du Rassemblement national en ont une image majoritairement négative : 52 % contre 48 %. L’enquête conduite en parallèle sur la Russie montre par ailleurs que les sympathisants de l’extrême droite figurent parmi les Français les plus réceptifs aux fausses nouvelles divulguées par le Kremlin sur les réseaux sociaux.
Concernant l’image du régime politique actuel de l’Ukraine, l’opinion des Français est en revanche nettement plus critique :
– Ils sont 55 % dans l’ensemble à en avoir une image négative (contre 45 % une image positive).
– Les femmes et les plus jeunes sont plus critiques que les autres.
Il est clair que les décisions parfois discutées du Président Porochenko ou les accusations récurrentes de corruption et de conflits d’intérêts qui entourent le régime ne contribuent pas à nourrir une image toujours flatteuse de la démocratie en Ukraine.
La promulgation pour la première fois dans l’histoire de l’Ukraine de la loi martiale – même de durée limitée – le 28 novembre dernier suite à l’incident armé avec les navires russes dans le détroit de Kertch n’est peut-être pas étrangère à l’image mitigée que reflète ce sondage réalisé tout juste deux semaines après ces événements.
Au-delà de cette perception très générale de l’Ukraine, nous avons également ajouté deux autres questions, l’une portant sur l’annexion de la Crimée par la Russie et l’autre sur la responsabilité respective de la Russie et de l’Ukraine dans les tensions actuelles entre les deux pays.Si dans l’ensemble les Français jugent très majoritairement injustifiée l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 : 78 %, ils sont en revanche un peu moins tranchés quant à la responsabilité unilatérale de la Russie dans les tensions plus récentes :
– Pour 43 % des Français, la faute revient plutôt à la Russie, tandis que 35 % jugent les torts partagés entre les deux nations.
– Seuls 5 % des Français font porter la responsabilité des événements principalement à l’Ukraine. Ils sont 17 % à ne pas avoir d’opinion en la matière.
– Il est intéressant de noter que ce sont les sympathisants socialistes et ceux d’En Marche qui sont les plus nombreux (environ 60 %) à rejeter la responsabilité des tensions actuelles vers les Russes, tandis que ceux du Rassemblement national sont 46 % à considérer les torts partagés entre les deux pays.
Pour tirer des conclusions plus générales de cette rapide enquête d’opinion, nous devons souligner 3 points :
– Les Français font globalement montre aujourd’hui d’un soutien, voire d’une certaine solidarité à l’endroit de l’Ukraine et c’est une bonne chose.
– Mais cette sympathie relative se construit en premier lieu par crainte, voire parfois un rejet assez prononcé à l’égard de la Russie et en particulier des positions et des agissements du président Poutine. C’est davantage un soutien en creux qu’une adhésion positive en faveur du pays. Les sondages réalisés au plus fort de l’annexion de la Crimée et de la guerre du Donbass montrent que si les Français dénoncent les agissements de la Russie, ils ne soutiennent pas une éventuelle intervention militaire extérieure pour rétablir le droit international.
– Plus généralement, l’opinion publique française cultive une vision assez idéaliste de la démocratie et de la transition vers l’État de droit.
La France, vieille démocratie consolidée, est souvent prompte à critiquer ses institutions et son fonctionnement.
Pour autant, elle peine aussi à reconnaître que des nations ayant recouvré leur indépendance depuis moins de 3 décennies sont parfois soumises à un long processus de transition, avec ses aléas et parfois même ses régressions temporaires. Qui plus est quand le pays en question est soumis à des conflits attisés et même armés par son puissant et ancien suzerain.
Ces quelques éléments de cadrage sur l’état actuel de l’opinion publique française à l’endroit de la situation en Ukraine étant posés, je passe immédiatement la parole à Pierre Sautreuil, animateur et modérateur de cette table-ronde.
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite des échanges riches et respectueux des positions de chacun ! »